L’orgue
HISTORIQUE DE L’ORGUE CONSTRUCTION ET TRANSFORMATIONS
Les documents d’archives relatifs à la construction de l’orgue d’Ebersmunster font malheureusement défaut. Nous sommes cependant assez bien renseignés grâce aux notices rédigées par Johann Andreas Silbermann et publiées récemment (Das Silbermann-Archiv, par Marc Schaeffer, Winterthur, 1994). La commande pour le nouvel orgue fut signé à Ebersmunster le 5 juillet 1728 pour un montant de 3000 florins, auxquels s’ajoutaient 6 quarts de blé, 6 quarts de seigle, 1 mesure de vin, 3 cordes de bois d’aulne, 3 cordes de bois de hêtre, ainsi que 2 louis d’or à l’attention de l’épouse du facteur d’orgues.
L’orgue devait se présenter selon le schéma habituel (comme par exemple à l’église Saint-Guillaume à Strasbourg), comportant au grand orgue trois tourelles et deux plate-faces séparées par un pilastre central.
Cependant, comme la place état suffisante et qu’il appréciait la beauté de l’édifice, Silbermann proposa par la suite d’augmenter ce plan, en prévoyant cinq tourelles au grand orgue et trois tourelles au positif, sur le modèle de l’orgue Thierry de Saint-Germain-des-Prés à Paris.
Cette proposition fut entérinée par un avenant au marché le 2 mars 1729, chiffré à 800 florins, incluant le lambris de la tribune, un grand clavecin, ainsi que les frais de déplacement et de séjour. En 1730, une partie de l’orgue fut transportée à Ebersmunster. Le travail commença le 21 août. Le buffet fut assemblé sur place. Les plaques d’étain destinées aux tuyaux de façade furent râclées et polie et les tuyaux de façade furent soudés sur place. L’orgue fut utilisé pour la première fois, avec cinq jeux, pour le jour de la Toussaint 1730. Après avoir travaillé à Ebersmunster pendant douze semaines, les facteurs rentrèrent à Strasbourg le 8 novembre.
En 1731, après que l’ensemble de la tuyauterie ait été confectionné, Andres et Johann Andreas Silbermann retournèrent à Ebersmunster. En l’espace de quatre semaines, le travail était achevé, du moins pour ce qui était prévu dans le marché. En effet, Silbermann avait préparé des chapes supplémentaires pour l’adjonction d’une Trompette d’écho et d’un Clairon de pédale. En 1732, le jour de la saint Louis, Andreas Silbermann, accompagné de ses fils Johann Andreas et Johann Daniel, se rendit à Ebersmunster pour placer ces deux jeux supplémentaires.
Les facteurs reçurent les gratifications suivantes : un couvert en argent pour Andreas, un louis d’or pour Johann Andreas, et un demi-louis d’or pour Johann Daniel. Le 2 septembre 1732, ils retournèrent à Strasbourg.
Johann Andreas prit soin de dresser la liste de l’ensemble du personnel de l’abbaye. Y figure en particulier le nom de l’organiste, le père Célestin Harst, originaire de Sélestat (1698-1776). Harst était claveciniste et se produisit à la cour de Louis XIV. En 1745, il publia un recueil de pièces de clavecin, groupées en six suites, dans le style français. Par la suite, Célestin Harst fut prieur, tout d’abord à Ebersmunster, puis au couvent de Saint-Marc, près de Gueberschwihr. A plusieurs reprises, il travailla comme expert pour la construction d’orgues de Johann Andreas Silbermann.
Au cours du XVIIème siècle, l’orgue d’Ebersmunster fut entretenu, nettoyé et accordé par des membres de la famille Silbermann :
- Le 16 mars 1736, Johann Andreas Silbermann se rendit à Ebersmunster à cheval. Il passa plusieurs jours sur place et accorda l’orgue pour la fête de la saint Benoît.
- Le 18 mai 1748, Johann Andreas Silbermann se déplaça à Ebersmunster, avec son frère Johann Heinrich et son compagnon Mangenus Löfander, d’origine suédoise. Ils procédèrent à un démontage de la tuyauterie, suivi d’un nettoyage et d’un accord. Le travail dura neuf jours et demi. Ils rentrèrent à Strasbourg le 30 mai.
- En 1750, alors qu’il procédait au montage de l’orgue du couvent de Sylo à Sélestat, Johann Andreas se rendit à Ebersmunster le 22 juin et effectua un accord des jeux d’anches.
- Le 19 août 1768, après avoir achevé la construction de l’orgue de l’église Saint-Georges de Sélestat, Johann Andreas se rendit à Ebersmunster et accorda les anches.
- Une réparation de la soufflerie fut exécutée en 1782 par Johann Josias Silbermann ( 1765-1789), petit-fils d’Andreas. Le frère Paul, cordonnier de l’abbaye, avait effectué une intervention malencontreuse. En effet, estimant que les soufflets étaient trop durs à tirer, il avait cru bon d’ajouter des poulies supplémentaires et d’enlever les contrepoids en plomb. Cette modification avait entrainé des inégalités dans l’alimentation. Par ailleurs, un des soufflets était endommagé. C’est le compagnon Johann Conrad Sauer (1735-1802) qui fut chargé de cette réparation. En outre, les soupapes d’aspiration furent regarnies de peau, les contrepoids refondus et suspendus à des lanières ? Enfin, un nouveau pédalier fut installé et l’orgue nettoyé et accordé. L’ensemble de ce travail dura quatorze jours. Johann Josias encaissa 10 louis d’or. Lui-même et Sauer touchèrent chacun un louis d’or de pourboire.
A l’occasion de ce travail, Johann Josias, à son tour, dressa la liste de l’ensemble du personnel de l’abbaye.
L’intervention de Johann Josias, qui mourut à l’âge de 16 ans, est signalée par une inscription trouvée par Roethinger en 1939 « Moi Jean Josias Silbermann de Strasbourg a accordé et rénové cet orgue l’an 1782. Œuvre III.» C’est la dernière intervention attestée de la maison Silbermann.
Un travail important – ignoré jusqu’ici – fut effectué par Joseph Bergäntzel en 1812. Lors de l’examen attentif des tuyaux de façade après démontage, nous avons constaté que certains tuyaux de façade du grand orgue portaient la marque indubitable de la facture des Bergäntzel, en particulier la graphie des noms de notes. Des recherches d’archives complémentaires nous ont permis de confirmer l’intervention de Joseph Bergäntzel (1754-1819), facteur d’orgues à Ammerschwihr (Haut-Rhin). Le montant de la « réparation » fut de 1640 francs. Etant donné la pauvreté de la commune et de la paroisse, les paiements s’échelonnèrent jusqu’en 1816. Le dernier terme fut encaissé par Valentin Rinckenbach, neveu de Bergäntzel. Ce dernier avait entre-temps quitté l’Alsace pour travailler dans le Vorarlberg. La réparation tut financée notamment par une vente aux enchères de l’ancienne église paroissiale d’Ebersmunster, située au cimetière. Joseph Bergäntzel n’était pas un inconnu dans les environs : en 1785 il avait construit avec son père Martin Bergäntzel (1722-1803) l’orgue d’Ebersheim.
Les archives ne donnent aucune précision sur le travail que Joseph Bergäntzel effectua à Ebersmunster. Force est de constater que sur les cinquante-trois tuyaux que compte la façade du grand orgue, trente-sept – dont les plus grand – sont de lui. De Silbermann, il ne reste que seize tuyaux, à savoir ceux des plates-faces latérales et les deux premiers tuyaux de la tourelle de gauche. En outre, une trentaine de tuyaux intérieurs sont également de Bergäntzel. Nous supposons que les tuyaux d’origine ont été dérobés lors des troubles de la Révolution. On sait que, malgré l’opposition des habitants notamment, une cloche fut enlevée par les troupes révolutionnaires.
En 1857-1858 Martin Wetzel (1794-1887), facteur d’orgues à Strasbourg, remplaça les quatre soufflets de Silbermann par trois soufflets neufs. De dimensions légèrement réduites, ils sont également à un seul pli, mais actionnés au pied au moyen de bascules. Ce remplacement coûta 300 francs. A cela s’ajouta une somme de 750 francs pour une « réparation ». Il est probable que l’adjonction d’une Bombarde 16 à la pédale soit à porter à ce compte. Elle ne fonctionne que sur dix-huit notes, étendue courante à cette époque. Il n’est pas impossible que cette Bombarde ait déjà été posée par Bergäntzel. Quelques indices vont dans ce sens, mais la question reste posée.
Une inscription dans l’orgue indique que l’instrument fut nettoyé au mois d’août 1857 par Charles Wetzel (1828-102), fils de Martin : « Charles Wetzel facteur d’orgues, Chef de la Société des Fanfares et membre honoraire de l’Eméritat des artistes musiciens de Strasbourg – 1857.
Les soufflets sont tapissés à l’intérieur de fragments de journaux, de munitions d’écoliers, d’ébauches de dessins, de partitions et de livrets d’opéra. Il s’y trouve par exemple un extrait d’un « Potpourri sur des motifs de l’opéra Robert le Diable de Meyerbeer composé par J. Küffner »
Un projet de Charles Wetzel en 1887 n’arriva heureusement pas à exécution, faute de moyens. En effet, il prévoyait de remplacer le Nazard du grand orgue (jeu criard et faux) par une Gambe 8. La Tierce (jeu désuet) devait céder le pas à une Octave 4. Au positif le Nazard devait être décalé en Flûte 4 et la Fourniture (jeu très mauvais et très usé) devait être remplacée par un Salicional 8. Wetzel prévoyait aussi une nouvelle soufflerie, avec deux pompes.
A en croire une inscription se trouvant dans l’orgue, il fut nettoyé en août 921 par Théophile Rinckenbach, facteur d’orgues à Ammerschwihr-Herrlisheim (Haut-Rhin).
A la veille de la 2ème guerre mondiale, l’orgue d’Ebersmunster fut restauré par la maison Edmond-Alexandre Roethinger. En 1938, on estima qu’une intervention était nécessaire, de nombreux tuyaux en bois étant vermoulus.
Le devis Roethinger se montait à 26.600 francs. Il stipulait expressément el maintien absolu du caractère ancien de l’orgue. De fait, les travaux furent exécutés par Alfred Kern et Ernest Muhleisen, alors employés de la maison Roethinger. Les sommiers furent restaurés. Les soupapes furent regarnies, les ressorts et les boursettes furent remplacés.
Plusieurs éléments de la mécanique furent remplacés, notamment les pilotes du positif et de la pédale, ainsi que la plupart des vergettes. Les placages en os des feintes des claviers de grand orgue et de positif furent remplacés par des placages en ivoire. Les éléments métalliques des claviers (guides, fils d’accrochage…) furent remplacés. Les garnitures furent remises à neuf. Un pédalier neuf fut installé, entrainant la suppression du repose-pied.
(photo : tirage de jeux et anti secousses, avant restauration)
(photo : claviers, avant restauration)
(photo : abrégé de pédale)
De nouvelles étiquettes de jeux, en matière plastique, remplacèrent les étiquettes manuscrites. La Bombarde 16, dont les pavillons étaient vermoulus, fut entièrement refaite. Plusieurs tuyaux en sapin, de la Soubasse 16, du Bourdon 16 et l’Octavebasse 8, vermoulus, furent partiellement refaits, les parties en chêne (blocs, lèvres….) étant conservées. Un nouveau soufflet, à deux plis compensés, prit place dans le local des soufflets. Deux anti-secousses furent appliqués aux porte-vents du grand orgue et du positif. L’armonie des jeux d’anches fut modifiée, notamment par le remplacement des languettes.
A la suite de la sécheresse excessive de l’été 1976, la maison Alfred Kern, de Strasbourg, effectua les travaux suivants, en 1978-1979 :
- Réparation du soufflet de Roethinger
- Livraison d’un nouveau ventilateur électrique, placé dans un caisson d’insonorisation, et d’une nouvelle boîte régulatrice.
- Réparation d’un panneau endommagé du soubassement.
A la veille de la récente restauration, le fonctionnement de l’orgue laissait à désirer. Les sommiers n’étaient plus étanches et présentaient des emprunts très gênants, notamment approfondie devenait inévitable et souhaitable.